Publié le 15 Octobre 2010
Les lycéens se mobilisent et revendiquent leur solidarité avec le mouvement social contre la réforme des retraites. Quentin Delorme, secrétaire national de l'UNL, la première organisation syndicale lycéenne, a répondu à vos questions.
Des élèves du lycée Voltaire en grève le 15 octobre 2010 à Paris. (AFP/Etienne Laurent)
Marc. La loi fixe la majorité à 18 ans. Estimez-vous qu’un jeune de 14-15 ou 16 ans ait assez de dicernement et soit capable d’analyser la situation pour entrer dans une grève très
politique?
Quentin Delorme. La majorité pénale est à 13 ans, ça serait étonnant qu'on soit responsable à cet âge de ses actes, et qu'à 15-17 ans on ne soit pas en mesure de manifester. Les
jeunes sont tout à fait capables de s'exprimer sur une question d'actualité qui les concerne.
Coccinelle. Pensez-vous que la manifestation de demain, samedi, sera bien suivi par les jeunes?
La dernière manifestation du samedi 2 octobre a été très suivie par les jeunes. Là, on est en plein mouvement lycéen, les étudiants commencent à se mobiliser. Tout le monde a compris que c'était
vital pour le mouvement de se mobiliser, il y aura des jeunes massivement dans les cortèges demain.
Lo22. Il y a beaucoup de violences dans le sillage de ces manifs: des caillassages, des policiers blessés, des violences policières très graves... A quoi est due cette violence, cette
grande tension?
Les violences sont minoritaires par rapport à l'ensemble du mouvement. Hier, à Montreuil, la violence a été initiée par le gouvernement lui-même. Il suffit de regarder le nombre de CRS qui sont
présents lors des rassemblements pacifiques des lycéens pour comprendre que le gouvernement a peur de ces jeunes. C'est une attitude irresponsable et complètement schizophrène. Fillon avait
déclaré mettre en place cette réforme pour les jeunes. Et dès que ceux-ci s'expriment, sa seule réponse est d'envoyer les compagnies de CRS et leur flash-ball.
Pepito. On a l'impression que des «casseurs», qui ne sont pas lycéens, viennent perturber les actions de blocage et font des dégâts... Encouragés par les caméras de télé d'ailleurs,
est-ce le cas?
Ce matin, le lycée Turgot, dans le 3e arrondissement à Paris, était bloqué dans le plus grand calme, et on a essuyé un passage de casseurs qui n'étaient pas des lycéens. Une grande partie des
problèmes vient de ces personnes, extérieures au lycée. Ce matin, à Turgot, c'est le proviseur qui le reconnaissait lui-même.
Nina. Que peuvent faire les syndicats lycéens et étudiants pour éviter les débordements ? Le pouvoir n'attend que cela pour discréditer l'ensemble du mouvement alors que l'opinion
publique était jusqu'à présent avec nous.
Nous organisons toujours à l'avance les actions et nous avons des services d'ordre qui permettent d'encadrer les actions et qui sont composés de lycéens et d'étudiants. Par ailleurs, on a l'aide
régulière des parents d'élèves, notamment les représentants de la FCPE.
Lo22. Comment acceptez-vous l'idée de la FCPE de voir arriver des «parents chaperons» devant les lycées pour encadrer les manifs?
Ce ne sont pas des «parents chaperons». La FCPE appelle les parents à venir aider les lycéens, et non pas à organiser les actions à leur place. C'est un soutien qui va permettre d'éviter un
certain nombre de débordements.
Marc. Les jeunes ne sont-ils pas manipulés, ne sont-ils pas la proie des politiques ou syndicats?
Les jeunes ont leurs propres syndicats qui sont composés uniquement de lycéens. J'estime qu'on est tout à fait capable à 16 ou 17 ans de se mobiliser de son propre chef, à partir du moment où le
sujet nous concerne. Lors de la réforme du lycée, on n'avait pas ce genre de commentaires, ou beaucoup moins. Et pourtant que ce soit la réforme du lycée ou celle des retraites, on est tout
autant concerné.
Mailimailo. Que pensez-vous de l'expression, employée sans exception par tous les défenseurs de cette réforme à votre sujet : «Nos jeunes!» Leur appartenez-vous?
Les jeunes appartiennent à la société et la société n'appartient à personne. Si «nos jeunes» ça sert d'alibi au gouvernement pour faire passer sa réforme en notre nom, les lycéens ne sont pas
dupes, et il y aura en face «notre mobilisation».
Paquerette. Pensez-vous que les blocages d'établissements soient la meilleure manière de protester? Pourquoi ne pas organiser plutôt des débats à l'intérieur du lycée et descendre dans la
rue lors des journées de mobilisation avec les salariés?
Le blocage est une forme d'action radicale qui est toujours utilisée en dernier recours. On aurait bien voulu discuter en amont avec monsieur Woerth, mais il n'a jamais daigné répondre à notre
courrier. Vu qu'il s'agit de leur avenir, il est normal que les lycéens utilisent les quelques moyens d'expression qu'ils leur restent.
D'Artagnan. Quelle est la signification de votre engagement ? Que souhaitez-vous faire passer comme message aux lycéens, aux étudiants, à nos concitoyens ? Quelles sont vos
revendications ?
On se mobilise pour avoir un droit à l'avenir, ça signifie avoir un travail avant 30 ans, avoir une retraite avant 70 et, surtout, être considéré comme des gens suffisamment responsables pour
intervenir sur un débat de société. On défend la retraite à 60 ans à taux plein, c'est le slogan des manifestations lycéennes. On souhaite une véritable politique de l'emploi pour permettre aux
lycéens de trouver des stages, d'avoir un emploi stable avant 27 ans, comme c'est le cas aujourd'hui, et avoir une certaine sécurité par rapport à la vie professionnelle. Au lycée on nous parle
beaucoup d'orientation, on s'inquiète de que seront pour nous les prochaines années au regard du taux de chômage actuel des jeunes.
Zecoisch. Les lycéens, souvent mineurs, et qui n'ont jamais travaillé, ont-ils le recul nécessaire sur une question sociologique aussi importante que l'avenir des retraites ?
Même si le gouvernement a sabordé le débat, quel message peuvent porter ces jeunes ?
On ne peut pas faire une réforme au nom des jeunes, sans prendre une seconde en compte leurs considérations. On n'a pas vocation à construire une réforme des retraites, ce n'est pas notre
travail, mais on est quand même capable d'analyser la précarité des étudiants aujourd'hui (celle qui attend les lycéens) et tenter d'apporter des réponses.
Joelafrite. Ne doit-on pas voir dans ces mobilisations de jeunes, au-delà de la réforme des retraites, un malaise plus profond? Ou simplement que «jeunesse se
passe» ?
Orson 7. Selon vous, le mouvement actuel est-il capable de dépasser la question des retraites pour se transformer en contestation générale du pouvoir, ne serait-ce que concernant l'ensemble des
traitements infligés à la jeunesse dans ce pays (réforme du lycée, des universités etc) ?
Effectivement, il y a un ras le bol qui dépasse la question des retraites, parce que les lycéens subissent l'application des réformes dogmatiques dans l'Education. On sait bien cependant
qu'il faut rester concentrer sur la question des retraites, c'est seulement comme cela qu'on arrivera à gagner. Même si la constestation est plus générale, on ne doit pas s'éparpiller.
Guillaume. Tous les lycéens sont-ils vraiment bien informés sur la réforme ? Certains ont l'air de manifester sans trop savoir pourquoi ils sont là ...
C'est tout l'enjeu de l'action d'une organisation comme UNL, arriver à convaincre du caractère injuste et néfaste de la réforme, expliquer à nos camarades qu'il y a des solutions, et enfin les
pousser à se mobiliser. Ce travail d'explication de la réforme est à faire pour tout le monde, salariés et lycéens. Je pense qu'on en est à l'étape de «comment convaincre pour se mobiliser».
Vieux. Sarkozy doit aujourd'hui miser sur les vacances de Toussaint pour espérer une baisse de la mobilisation dans vos rangs, allez-vous survivre aux vacances.
J'espère qu'on n'aura pas besoin d'aller jusqu'aux vacances et qu'il montrera qu'il est un homme d'Etat responsable avant. On peut dire qu'il y aura une victoire si jeunes et salariés sont
ensemble, si les uns continuent à se mobiliser, il n'y aucune raison que les autres ne soient pas au rendez-vous.
Hugo First. Les «sixth-formers » britanniques n'ont pas l'équivalent de l'UNEF. Si vous trouvez ce phénomène normal, pourriez-vous nous citer l'exemple d'un autre pays où les mineurs se
mettent dans la rue pour protester contre un gouvernement élu ?
On travaille avec les autres syndicats lycéens européens, et notamment le syndicat lycéen italien. Il y a eu une grande manifestation le 8 octobre dernier contre la politique de Berlusconi et il
y avait effectivement beaucoup de jeunes. En France, ou ailleurs, les jeunes ont bien compris que c'était de leur avenir dont on parlait, et ils se mobilisent sur la question.
P. Je suis maman, j'ai reçu une lettre du proviseur, sur la demande du rectorat, qui nous met en garde nous parents contre les absences injustifiées de nos chers enfants lorsqu'ils
décident de se joindre aux manifestants ? Qu'en pensez-vous ?
C'est un courrier que beaucoup de lycéens de toute la France ont reçu de la part de leur proviseur. C'est un courrier qui arrive tout droit du ministère. Ce sont des intimidations et des menaces
sur les lycéens qui se mobilisent, ainsi que sur leur famille. Elles n'ont aucune base légale au vu du code de l'éducation. On nous parle de propagande, elle a lieu dans les lycées, et c'est
celle de monsieur Chatel.
Votre pseudo. Comment UNL fait remonter les provocations policières de ces derniers jours dans les différentes villes de france?
Sans généraliser sur la question des violences, il y a effectivement une pression policière jamais vue dans une mobilisation lycéenne. Nous allons mettre en place, sur le site de l'UNL, un
formulaire qui permettra de faire remonter les problèmes de violence ou de sanctions dans les établissements. Comme pendant le mouvement contre le CPE (contrat première embauche), on va pouvoir
réaliser un dossier sur la répression du mouvement lycéen qui nous servira à contrer les messages ou les mensonges du ministère.
Merci à tous d'être attentifs à la mobilisation des lycéens, je crois que malgré les problèmes auxquels on a à faire face, on n'a pas l'intention de s'arrêter là. La suite du mouvement est conditionnée à l'attitude du gouvernement. On a parlé d'irresponsabilité des jeunes qui descendent dans la rue, au regard des propos des ministres et de leurs conseillers, je ne suis pas certain que ce soit les lycéens les plus irresponsables.
Lien : http://www.liberation.fr/societe/1201357-retraite-une-affaire-de-jeune