InFOéco 39 – 15 mars 2012

Publié le 16 Mars 2012

 

 

> COÛT DU TRAVAIL EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE: DES CHIFFRES ET DES FAITS
Le coût du travail ne quitte jamais vraiment la scène du débat économique et social et les campagnes électorales sont propices à des argumentations chiffrées, dont on peine trop souvent à identifier l’origine et la cohérence.
Dans ce contexte, une nouvelle publication de l’INSEE[1] est venue récemment remettre les choses en place concernant les comparaisons en matière de coût du travail au niveau européen. Ces constats appellent un certain nombre d’observations alors que le sujet demeure sensible et que certains en font la cause principale du chômage persistant et de la tendance actuelle de l’emploi, avec en toile de fond la référence allemande érigée en modèle à suivre.

De fait, cette « obsession du modèle germanique », qui ne s’exprime pas uniquement sur le coût du travail, sert toujours d’aiguillon aux commentateurs et à bon nombre d’acteurs politiques, alors que le rapport de la Cour des Comptes[2] sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne – commandé par le chef de l’Etat fin 2010 et rendu public en mars 2011 – avait eu le grand mérite de clarifier les choses et de battre en brèche un certain nombre de poncifs, d’idées fausses et de raccourcis faciles. On peut d’ailleurs regretter que les conclusions de ce rapport aient si peu été reprises à son compte par l’exécutif mais cela est probablement lié au fait qu’elles n’allaient pas, pour l’essentiel, dans le sens des présupposés qui avaient conduit à sa réalisation…

L’étude de l’INSEE révèle ainsi que le coût horaire du travail est comparable en France et en Allemagne dans l’industrie manufacturière. De l’ordre de 33 euros de l’heure en 2008 avec cependant des différences selon les secteurs: 26% de plus dans l’alimentaire mais 29% de moins dans l’automobile. De plus, la part des «charges» n’est pas significative dans le coût du travail, comme l’indique Laurence Rioux[3], une des auteurs de l’article: «à moyen long terme il ne semble pas y avoir d’effets du taux de cotisation sociale patronale sur le niveau du coût horaire de la main d’oeuvre c'est-à-dire que seul le niveau total de prélèvement compte, comprenant les cotisations sociales employeurs et employés et les impôts».

Conclusion de l’INSEE : le coût du travail n’est pas une donnée pertinente pour expliquer les bons résultats de l’économie allemande, notamment en matière de commerce extérieur.

Si on adopte une vision plus large de l’économie allemande, des différences sectorielles très significatives apparaissent. Dans les services, on note selon Eurostat un écart de l’ordre de 20% sur le coût du travail entre les deux pays. Cela résulte pour une large part des effets des lois Hartz successives initiées sous le gouvernement Schröder au début des années 2000 et prolongées ensuite par les gouvernements Merkel. Le faible coût des services allemands, renforcé par l’absence de salaire minimal, explique que pour l’économie prise dans son ensemble, le coût horaire du travail soit supérieur d’environ 10% en France (31,5 euros contre 28,9) alors que dans l’industrie, l’Allemagne affiche un coût légèrement plus élevé (33,37 euros de l’heure contre 33,16, toujours en 2008).

De plus, plusieurs travaux montrent que l’Allemagne pratique une stratégie que les économistes qualifient d’économie de bazar ou de réexport. Concrètement, elle profite à plein des avantages comparatifs de ses voisins de l’Est pour valoriser sa production à moindre coût. Elle dispose en effet du niveau de qualification élevé de la main d’oeuvre dans des pays comme la République tchèque pour y réaliser des étapes intermédiaires du processus productif industriel avant de boucler l’assemblage final sur le sol allemand et apposer le label « made in Germany » ou « deutsche qualitat » comme en usent si bien les publicitaires. Ces opérations permettent de maintenir le degré d’exigence qualitative donc ce qui relève de la compétitivité hors-coût tout en bénéficiant des faibles salaires distribués dans ces pays dont le système de protection sociale collective pâtît toujours d’un sous-développement avéré. C’est ce qu’on appelle dans le langage commercial poétique une stratégie « gagnant gagnant » ! Mais évidement « perdant » pour les salariés concernés…

Face à la multiplication des débats autour de la compétitivité (Conférence Nationale de I’Industrie, Commission du dialogue économique avec le Medef), Force Ouvrière refuse depuis le début de s’inscrire dans la course à l’échalote de la compétitivité, sachant que cette boîte noire multi-facettes dérive toujours sur les supposés excès du coût du travail français avec en arrière-plan la remise en cause du financement de la protection sociale.

La baisse du coût du travail, à travers la rhétorique éculée des « charges », reste une des principales revendications patronales. Cette attente se trouve d’ailleurs au coeur de la proposition imposée par le gouvernement des accords compétitivité-emploi[4]. Rappelons qu’il s’agirait d’adapter les salaires et la durée du travail au niveau de l’entreprise selon le niveau de l’activité et en contrepartie d’une préservation aléatoire de l’emploi mais sans le passage obligé d’un accord individuel de tous les salariés concernés.

Pourtant, le diagnostic est connu et s’étale à longueur de rapports officiels depuis plusieurs années et a été largement établi

à l’occasion des Etats généraux de l’industrie en 2010. Le problème de compétitivité relative de l’économie française vis-à-vis de l'Allemagne ne renvoie pas au coût du travail, globalement équivalent et même un peu plus élevé en moyenne dans l’industrie Outre-Rhin. Les avantages relatifs allemands reposent sur des éléments de compétitivité « hors coûts » qui englobent toute une série de facteurs : qualité des produits, spécialisation de la production, recherche et innovation, spécialisation géographique et orientation face aux marchés, dynamisme et modes de financement (y compris publics) des PME, politique industrielle nationale et par Länder.

Pour Force Ouvrière, l’objectif essentiel de ré-industrialisation ne peut pas emprunter la voie de la modération salariale, qu’elle soit directe ou indirecte sur la part des cotisations sociales. Dans les services, l’exemple allemand, loin de proposer un modèle progressiste, constitue surtout une perspective régressive dépourvue ou presque de régulation sociale (multiplication des mini jobs, à 400 Euros/mois, à 1 Euro/heure).

Parmi les évolutions marquantes de la société allemande dans la dernière décennie, l’explosion de la pauvreté (l’Allemagne compte 20% de « travailleurs pauvres ») et de la précarité est trop rarement mise en avant alors qu’elle produit des effets structurants pour l’avenir du pays et sa cohésion sociale. Cette politique de baisse du coût du travail a même eu des effets sur toute l’économie européenne, l’Organisation internationale du travail ayant démontré que la déflation salariale allemande avait dopé la crise et mis sous pression et sous contraintes la croissance des autres Etats européens.

Achevé de rédiger le 14 mars 2012

[1] Le coût de la main d’oeuvre : comparaison européenne 1996-2008 ; Emploi et salaires, édition 2012, INSEE. Le document est disponible ici : http://www.insee.fr
[2] Voir à ce sujet les infoécos n° 21 du 14 avril 2011 « audition de FORCE OUVRIERE par la Cour des comptes sur la comparaison des systèmes fiscaux français et allemand » et n° 26 du 22 juin 2011 « Fiscalité et compétitivité : les rapports accusent ».
[3] Sur France Info, le 21 février 2012.
[4] Un article 40 du projet de loi « Warsmann » s’inscrit dans la même logique en prévoyant que « la mise en place d’une répartition d’horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année, prévue par un accord collectif, ne constitue pas une modification du contrat de travail ». FO a dénoncé fermement cette proposition.

Rédigé par FO 3M SOA

Publié dans #FO

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