«Le lean», un mode d'organisation du travail qui fait polémique
Publié le 23 Février 2012
Louis Vuitton, PSA, BNP Paribas, Danone ou Philips ou Pôle Emploi... Le «lean» (maigre en anglais), mode d'organisation du travail sans «gras» qui vise à éliminer le superflu (temps morts, gestes inutiles, temps d'attente, déplacements, stocks excessifs, non-qualité, etc.) se répand dans les entreprises depuis quelques années, suscitant de vives polémiques.
Le lean contamine tous les secteurs
Venu du Japon, le concept séduit certaines sociétés par les gains de productivité spectaculaires qu'il peut engendrer (jusqu'à soi-disant +30%). Mais il est souvent perçu par les salariés et les
syndicats comme un facteur de dégradation des conditions de travail.
D'abord présent chez les équipementiers automobiles comme Valeo et Michelin, le lean gagne aujourd'hui, tous les secteurs, y compris les services où la méthode «coince» particulièrement, selon
les experts.
Selon Philippe Rouzaud, auteur de «Salariés, le lean tisse sa toile et vous entoure...», le concept originel s'accompagne de «promesses d'amélioration des conditions de travail». L'idée,
résume-t-il, est de dire que puisque le salarié faisait des choses inutiles, il prendra du plaisir à ne plus les faire.
Mais dans les faits, ces gains de productivité posent la question du bien-être des salariés, lorsque par exemple sont supprimés les déplacements «inutiles», qui permettent de souffler.
En outre, sa mise en oeuvre échoue dans près de 90% des cas, car les entreprises retiennent avant tout l'aspect productivité.
Une méthode qui coûte cher
«Oui, le lean, malheureusement, est un outil très performant», résume-t-il. Mais, «on se rend compte, compte-tenu de la conjoncture, que derrière de nombreux programmes utilisant les outils du
lean, il y a des suppressions de postes».
Eric Queyssalier, consultant chez Progress Partners, qui aide des entreprises à mettre en place le lean, défend de son côté la méthode qui conduit à une «vraie valorisation du travail». Mais, il
admet que les Européens n'ont peut être «pas tout compris». Lorsqu'il est dévoyé, «le lean apporte de l'intensification du travail» et s'avère générateur de risques psychosociaux, de troubles
musculo-squelettiques, etc., souligne M. Rouzaud.
En 2006, un rapport du Centre d'étude de l'emploi (CEE) notait ainsi une dégradation des conditions de travail en Europe dans les organisations en «lean», par rapport aux autres organisations, y
compris tayloriennes.
L'ergonome Emmanuelle Florence souligne en outre qu'il s'agit d'un procédé très coûteux à mettre en place qui exige une «reconsidération totale des modes de pensée, donc en général, les
entreprises ne reviennent pas en arrière».
«On est en train de jouer aux apprentis-sorciers sur la santé et les conditions de travail en France. On en verra les conséquences dans six mois, un an, ou deux ans...», prévient M. Rouzaud.
Récemment, le Tribunal de grande instance de Nanterre a donné une arme aux représentants du personnel, par une décision qui devrait faire jurisprudence : la mise en oeuvre du lean doit faire
l'objet d'une consultation du CHSCT.